Faut-il remplacer le CDI et le CDD par un « contrat de travail unique » ? L’idée n’est pas nouvelle, mais elle refait surface aujourd’hui. Et pour cause : l’économiste français Jean Tirole, qui vient d’obtenir le prix Nobel d’économie, est un grand partisan du contrat unique. Manuel Valls a même déclaré qu’il trouvait l’idée « intéressante ». De quoi s’agit-il ? D’un contrat unique à durée indéterminée, plus flexible que l’actuel CDI, et fondé sur l’acquisition de droits progressifs en fonction de l’ancienneté du salarié. L’objectif d’une telle réforme est de fluidifier le marché de l’emploi, et de mettre un terme à l’injustice d’une situation dans laquelle les travailleurs en CDI sont protégés tandis que les autres salariés sont condamnés à la précarité : en effet, les travailleurs en CDD ont difficilement accès à la formation, aux allocations chômage, au logement et au crédit.
La cohabitation entre deux types de contrat de travail (CDI et CDD) n’est pas un problème en soi. Il n’est pas souhaitable de supprimer le CDD car ce type de contrat peut répondre à des besoins réels dans certaines situations bien précises, notamment dans le cas des emplois saisonniers. Le problème vient plutôt de la rigidité du CDI, qui incite les employeurs à faire un usage abusif du CDD : aujourd’hui, plus de 70% des embauches s’effectuent en CDD car les employeurs redoutent les contentieux en cas de licenciement, en particulier dans les PME. Il faut donc donner plus de « flexibilité » au CDI, par exemple en assouplissant les procédures de licenciement et en supprimant l’obligation de reclassement lors des licenciements économiques. Parallèlement, il faut aussi que le recours au CDD soit plus strictement encadré : on peut, par exemple, allonger la période de carence obligatoire entre deux renouvellements de CDD pour éviter les abus. En d’autres termes, il faut que le CDI redevienne la norme, et le CDD l’exception. Mais pour qu’une telle réforme soit acceptable, il est nécessaire que les contreparties proposées aux salariés permettent une véritable sécurisation des parcours professionnels en terme d’indemnisation comme en terme d’accompagnement.
François Bayrou défend depuis 2012 l’idée d’un CDI assoupli et simplifié, que l’employeur pourrait rompre sans motifs en s’acquittant d’une « contribution de solidarité », et en versant au salarié une indemnité de licenciement dont le montant varierait en fonction de l’ancienneté. Le salarié, quant à lui, aurait la garantie d’un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi. De plus, il accumulerait au fil du temps des « droits à la formation », qu’il pourrait activer en cas de perte d’emploi pour se requalifier. L’idée de Bayrou s’inspire de l’étude réalisée en 2004 par les économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz sur la « flexisécurité » : ces économistes préconisent l’instauration d’un « contrat unique » pour favoriser la création d’emplois et casser la « dualité » du droit du travail. Selon les auteurs, le droit du travail français tend à surprotéger les emplois au lieu de protéger les personnes : la protection des emplois existants limite la création de nouveaux emplois en raison des surcoûts induits par le maintien d’emplois peu rentables. Cette situation pénalise lourdement les chômeurs, les travailleurs précaires et les jeunes, qui ont énormément de mal à trouver un emploi stable. Contrairement à Pierre Cahuc et Francis Kramarz, François Bayrou ne souhaite pas supprimer le contrat à durée déterminée : le président du Modem considère que le CDD doit être limité à quelques cas bien spécifiques, tels que les emplois saisonniers et les remplacements de salariés en congé de formation ou en congé maternité. En ce sens, Bayrou ne défend pas vraiment le principe d’un « contrat unique », mais plutôt celui d’un CDI « flexibilisé » et d’un CDD « rigidifié » dont l’usage serait plus restreint.
Mais l’adoption d’un « contrat unique » (ou « CDI flexible », peu importe le nom qu’on lui donne) soulève quelques problèmes très délicats. Tout d’abord, un problème juridique : la possibilité de licencier sans motif économique ou disciplinaire est incompatible avec les conventions de l’Organisation Internationale du Travail, ratifiées par la France. Deuxièmement, les syndicats de salariés sont opposés au principe du contrat unique : une telle réforme risque donc d’entraîner les partenaires sociaux dans des négociations houleuses, interminables et contre-productives, dont l’issue ne peut être que le passage en force (le pire des scénarios) ou l’abandon pur et simple du projet. Enfin, il va de soi que le « contrat unique » ne fera pas de miracle : à lui tout seul, il ne résorbera ni le chômage de masse ni le travail précaire. Car pour embaucher, une entreprise a besoin d’avoir un carnet de commandes. C’est donc avant tout par la relance de l’investissement et de la consommation que le chômage doit être combattu. En tout état de cause, le contrat unique ne sera qu’une mesure d’accompagnement.