Faut-il repousser l’âge de départ à la retraite?

Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme de retraites.

D’après le dernier rapport du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), le déficit des caisses de retraite devrait se situer entre 8 et 17 milliards d’euros en 2025. Il est clair que, sans réforme, ce déficit va continuer de se creuser dans les décennies à venir compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie. Selon les projections réalisées par l’Insee, en 2050, près de 30% de la population française aura plus de 60 ans contre 20% actuellement. La France comptera 6 retraités pour 10 actifs, alors que ce ratio était de 3 pour 10 dans les années 2000.

Quatre leviers différents peuvent être utilisés pour ramener les caisses de retraite à l’équilibre : la durée de cotisation, le taux de cotisation, le montant des pensions et l’âge légal de départ à la retraite. Une baisse des pensions est difficilement envisageable dans le contexte actuel car cela reviendrait à ponctionner le pouvoir d’achat des retraités, qui ont déjà dû supporter la hausse de la CSG en 2018. L’augmentation des cotisations est, elle aussi, problématique sur le plan social car elle entraînerait une perte de pouvoir d’achat pour tous les actifs ; de plus, une telle mesure fragiliserait la solidarité intergénérationnelle sur laquelle repose tout notre système de retraite par répartition. Quant à la durée de cotisation, elle a déjà été revue à la hausse plusieurs fois au cours des trente dernières années (réforme Balladur de 1993, réforme Fillon de 2003, réforme de 2007, réforme de 2010, réforme Touraine de 2014). Cette solution est injuste pour les assurés qui ont fait de longues études et qui sont entrés tardivement sur le marché du travail.

La solution la plus réaliste est donc un report de l’âge de départ à la retraite, à condition que les métiers pénibles ou dangereux conservent la possibilité d’un départ anticipé. L’âge légal de départ à la retraite est actuellement fixé à 62 ans, ce qui est sensiblement plus bas que dans la plupart des pays de l’Union européenne : l’âge légal est en effet de 64 ans en Suisse, 65 ans en Belgique et en Suède, 67 ans en Allemagne, et même 69 ans en Italie. Le problème, c’est que l’âge de départ à la retraite reste une question socialement explosive en France : la quasi totalité des syndicats de salariés sont opposés à une remise en cause de la retraite à 62 ans. La solution proposée par le rapport Delevoye constitue un compris intéressant : il s’agit de maintenir à 62 ans l’âge légal de départ et d’instaurer un « âge pivot » à 63 ou 64 ans. Cet « âge pivot » ou « âge d’équilibre » est celui qui permet d’obtenir une retraite à taux plein. Une décote s’appliquerait aux assurés qui choisissent de partir en retraite avant l’âge pivot ; à l’inverse, une surcote s’appliquerait aux assurés qui prolongent leur activité après l’âge pivot. Ce système permettrait de responsabiliser davantage les assurés en les incitant à reporter leur départ à la retraite. Ce système serait, en outre, plus lisible pour les assurés, qui n’auraient plus à calculer en permanence le nombre de trimestres à valider pour bénéficier d’une retraite à taux plein.

Dans un contexte inédit de vieillissement de la population, il sera nécessaire de travailler un peu plus longtemps pour garantir le financement de notre système de retraite. Mais il est clair que l’âge de départ à la retraite ne pourra pas être indéfiniment repoussé. D’autres solutions devront être envisagées. Tôt ou tard, il faudra briser le tabou de la retraite par capitalisation. Le régime général garantira à tous les assurés une pension minimale décente, mais il sera souhaitable que cette pension soit complétée par une rente viagère versée par des organismes de prévoyance et des mutuelles. Lorsque notre système de retraite par répartition a vu le jour, l’espérance de vie dépassait à peine 60 ans ; peu de Français jouissaient d’une longue retraite. Il s’agissait alors d’assurer à tous les Français une fin de vie décente. De nos jours, la retraite représente une vingtaine d’années dans la vie des individus. C’est comme une deuxième vie, une période dont chacun souhaite pouvoir profiter, ce qui est parfaitement légitime. Mais tout cela a un coût. Et ce coût ne pourra pas être éternellement supporté par la collectivité.

Nous devons évidemment conserver notre système de retraite par répartition, parce que ce système constitue notre bien commun et parce qu’il permet de garantir une retraite à l’ensemble des Français qui ont travaillé. Mais il faut aussi encourager les retraites complémentaires par capitalisation, notamment via l’épargne retraite populaire et l’épargne d’entreprise. Les plans d’épargne retraite n’ont pas vocation à remplacer notre système par répartition, mais ils permettront de le compléter. Il existe déjà en France plusieurs mécanismes de retraite complémentaire par capitalisation. Les premiers produits d’épargne retraite ont été imaginés au début des années 1990 par deux hommes qui avaient parfaitement compris, dès cette époque, l’impact colossal du vieillissement démographique sur notre système de retraite. Ces hommes s’appelaient Michel Rocard et Pierre Bérégovoy, et ils étaient socialistes.

9 novembre 1989, ce jour qui a changé le visage de l’Europe

Il y a 30 ans, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, les Berlinois de l’Est passaient librement à l’Ouest : le Mur de la Honte commençait à vaciller sous les pioches et les marteaux. La chute du Mur de Berlin mit un terme à la guerre froide et referma le long cycle de conflits européens ouvert en 1914. Elle permit la réunification de l’Allemagne et relança la construction européenne : en 1992, le Traité de Maastricht donna naissance à l’Union européenne et posa les bases de la monnaie unique. La chute du Mur de Berlin a aussi amorcé un processus inédit et spectaculaire d’unification politique du continent européen : en effet, après un demi-siècle de dictature communiste, les pays d’Europe centrale et orientale sont devenus des démocraties et ont, dans leur grande majorité, rejoint l’Union européenne. Commémorer la chute du Mur de Berlin est donc l’occasion de réfléchir sur l’importance des valeurs que partagent les nations européennes, au-delà des fractures infligées par les accidents de l’histoire. N’ayons pas peur de rappeler ces valeurs cardinales qui constituent le socle même du projet européen : les Droits de l’Homme, la démocratie, la liberté, la paix, la solidarité.

En Allemagne, la réunification fut un succès politique. L’ex-RDA fut absorbée par la RFA, englobée dans l’économie sociale de marché, intégrée à l’OTAN et à la Communauté européenne. Mais le plus remarquable, c’est surtout la stabilité de la démocratie allemande. Le modèle de la République Fédérale, élaboré par et pour les Allemands de l’Ouest sur les ruines du nazisme, s’est parfaitement greffé sur l’Allemagne de l’Est et n’a jamais été remis en cause depuis la réunification. D’ailleurs, de nombreuses personnalités politiques allemandes sont issues des Lander de l’Est, à commencer par la chancelière Angela Merkel. Néanmoins, la réunification reste inachevée sur le plan économique : les Lander de l’Est, qui sont passés brutalement du communisme au capitalisme au début des années 90, accusent encore aujourd’hui des retards par rapport à l’Ouest, ils sont plus pauvres et ont un taux de chômage plus élevé. Les difficultés économiques de l’Est alimentent une forme de nostalgie du communisme, une « Ostalgie », y compris chez de jeunes Allemands qui n’ont pas connu la RDA. 

A l’échelle européenne, le bilan de la réunification est assez paradoxal. Les nations d’Europe centrale et orientale qui se sont jetées dans les bras de l’Union européenne et qui ont bénéficié de subventions massives et de nombreux investissements venus de l’Ouest sont aujourd’hui les nations les plus critiques envers la construction européenne. Le projet européen est fortement fragilisé car il est aujourd’hui contesté jusque dans sa légitimité. Alors que les Britanniques s’apprêtent à quitter l’Union, alors que les nationalismes et les populismes se réveillent un peu partout, en Pologne et en Hongrie, en Autriche, en Italie, en Allemagne et même en France avec le Rassemblement National, n’oublions pas tout le chemin parcouru depuis 1989 : l’unification du continent européen, l’extension de la démocratie en Europe centrale et orientale, et le décollage économique spectaculaire des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union européenne. A l’heure où certains rêvent de déconstruire ou d’affaiblir l’Europe, n’oublions pas la grande leçon de ces 30 dernières années : ce qui unit les nations européennes est plus important que ce qui les oppose.