A l’époque de Jean-Marie Le Pen, le Front National s’intéressait peu à l’économie car l’immigration et l’insécurité constituaient son principal fonds de commerce. Jean-Marie Le Pen n’a jamais eu de véritable programme économique ; dans les années 80, il a repris à son compte certaines thèses ultralibérales du président américain Ronald Reagan : le programme de Le Pen en matière économique se résumait alors à des baisses d’impôts massives et à des imprécations récurrentes contre les syndicats, le « fiscalisme » et « l’Etat prédateur ». Puis, dans les années 90, Jean-Marie Le Pen est devenu un adversaire acharné du Traité de Maastricht et du marché unique européen : partisan d’une libéralisation de l’économie française, il critiquait violemment la libéralisation du marché européen. Après son arrivée à la tête du FN, Marine Le Pen a voulu doter son parti d’un programme économique plus consistant, afin de montrer que le FN était désormais prêt à gouverner le pays. Abandonnant la doxa libérale de son père, Marine Le Pen s’est entourée de quelques technocrates pour bâtir un programme économique à l’orientation résolument dirigiste et protectionniste : ce programme, qui a pour mot d’ordre le « patriotisme économique », s’articule autour de quelques mesures phares telles que le retour au franc.
Le minimum que l’on puisse exiger d’un programme économique, c’est qu’il soit cohérent, surtout s’il est porté par un parti qui prétend à l’exercice du pouvoir. Le programme économique du FN est-il cohérent ? Non. Soucieux de plaire aux consommateurs et aux producteurs, le parti de Marine Le Pen promet aux uns des baisses de prix, et aux autres des prix minimum garantis. Soucieux de plaire aux petits patrons comme aux ouvriers, le FN veut à la fois plus d’Etat, et moins d’Etat. Il promet ainsi de « libérer les entreprises des lourdeurs administratives et des contrôles tatillons », tout en multipliant les contraintes et les obligations nouvelles qui nécessiteront des contrôles supplémentaires et qui perturberont fortement la stratégie des entreprises : le FN veut en effet instaurer un contrôle des prix et obliger les entreprises à embaucher prioritairement « des séniors et des jeunes issus des filières professionnelles » ; il veut aussi appliquer aux entreprises le principe de la préférence nationale : « les entreprises se verront inciter à prioriser l’emploi, à compétences égales, des personnes ayant la nationalité française ».
Si le programme économique du FN pêchait seulement par son incohérence, il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter. Le vrai problème, c’est qu’il s’agit d’un programme suicidaire. Le parti préconise un « protectionnisme intelligent » reposant sur une hausse des droits de douane et sur des quotas d’importation à l’encontre des pays qui concurrencent la France de façon déloyale, notamment la Chine et « certains pays d’Europe de l’Est ». Il faut tout d’abord souligner que ces mesures sont inapplicables, puisque la politique commerciale est une compétence exclusivement communautaire : pour instaurer unilatéralement des mesures protectionnistes, la France doit donc sortir de l’Union européenne. En outre, de telles mesures pénaliseraient considérablement les entreprises françaises qui s’approvisionnent à l’étranger, en alourdissant leurs coûts de production et en les obligeant à revoir complètement leurs filières d’approvisionnement. Cette politique entraînerait aussi, de la part des pays lésés, des mesures de rétorsion qui pénaliseraient nos exportations et fermeraient de nombreux débouchés aux entreprises françaises. La Chine est devenue un partenaire commercial et industriel incontournable pour la France : elle offre un débouché majeur aux industries françaises du luxe et de l’agroalimentaire, elle représente 25% des parts de marché d’Airbus et accueille près de 1.600 entreprises françaises sur son territoire. Si la France décidait toute seule de s’engager dans une guerre commerciale contre la Chine, nous aurions beaucoup à y perdre.
Non content de plomber les entreprises françaises les plus compétitives en fermant nos frontières, le FN multiplie les imprécations contre les firmes du CAC 40 et promet de surtaxer les grands groupes. Marine Le Pen veut en effet augmenter l’impôt sur les sociétés et mettre en place un prélèvement de 15% sur les bénéfices des grands groupes, afin de soutenir les PME-PMI par le biais d’un fonds spécial dédié à la réindustrialisation de la France : rien de tel pour encourager la fuite des capitaux ! Le FN oppose de façon caricaturale les grandes firmes aux PME, oubliant au passage que les PME sont étroitement liées aux firmes, et que les grands groupes contribuent à faire vivre tout un réseau de fournisseurs et de sous-traitants.
Le FN souhaite aussi abandonner les accords de Schengen et rétablir des contrôles permanents sur l’ensemble des frontières terrestres de la France : cette mesure pénaliserait évidemment les transporteurs, les touristes et les quelque 350.000 travailleurs transfrontaliers qui résident en France. Dans une étude publiée en février 2016, l’agence France Stratégie estime qu’un rétablissement des contrôles aux frontières coûterait à la France entre 1 et 2 milliards d’euros par an à court terme, un chiffre qui prend en compte uniquement le recul de la fréquentation touristique et le ralentissement des flux de marchandises : il faudrait y ajouter les coûts liés à la remise en service des postes-frontières ainsi que les conséquences à long terme sur les échanges, la croissance et l’investissement.
Le programme économique du FN est un véritable catalogue de mesures inflationnistes. La hausse des droits de douane se traduirait inévitablement par des hausses de prix : si la France décidait de surtaxer tous les produits chinois, comme souhaite le faire Marine Le Pen, cela gonflerait le prix des vêtements, des jouets, des ordinateurs et des téléphones portables qui sont fabriqués en Chine et que nous importons par millions chaque année. C’est donc, au bout du compte, le consommateur français qui paierait la facture du « protectionnisme intelligent » de Marine Le Pen. Le Front National veut également sortir de l’euro, revenir au franc et mener une politique de « dévaluation compétitive » pour doper les exportations de la France : Marine Le Pen propose ainsi de dévaluer le franc de 20%. Il est vrai qu’une dévaluation monétaire pourrait temporairement stimuler nos exportations, mais les effets positifs escomptés à court terme seraient vite annulés par les dévaluations que nos partenaires commerciaux ne manqueraient pas de mettre en application à leur tour. Et pour les ménages français, la facture sera salée : une dévaluation de 20% du franc va renchérir de 20% le prix de tous les produits que nous importons, notamment le pétrole et le gaz. Elle provoquerait une érosion de l’épargne des Français ainsi qu’un alourdissement insupportable de la dette publique.
Le FN veut également autoriser la Banque de France à créer de la monnaie, c’est-à-dire à financer directement le Trésor Public à des taux d’intérêt quasi nuls : c’est ce que l’on appelait autrefois la « planche à billets ». Or, le recours à la « planche à billets » pour financer la dette de l’Etat risque d’entraîner un dérapage inflationniste quasi impossible à maîtriser, qui viendrait amplifier les hausses de prix dues à l’augmentation des droits de douane et à la dévaluation du franc. Cette accumulation de mesures inflationnistes aurait des conséquences catastrophiques sur le pouvoir d’achat des Français : une fois de plus, ce sont les consommateurs français qui vont payer la facture. Mais la « planche à billets » a d’autres inconvénients majeurs : quand la croissance est dopée artificiellement par la création monétaire, les risques de récession deviennent très élevés dès que l’Etat réduit la quantité de liquidités injectées dans l’économie : on dit alors que l’économie fonctionne « sous perfusion ». Mais surtout, la « planche à billets » encourage la spéculation et favorise, par conséquent, l’apparition de nouvelles bulles spéculatives et de nouvelles crises.
Finalement, on en vient presque à regretter les vociférations de Jean-Marie Le Pen et la belle époque où le Front National n’avait pas de programme économique : en ce temps-là, le FN assumait son rôle de parti contestataire et n’avait aucune prétention à gouverner. Le programme économique bricolé par Marine Le Pen et la nouvelle garde du FN est catastrophique. Ce que nous propose le FN, c’est un catalogue de mesures suicidaires dont l’application saperait la croissance et plomberait le pouvoir d’achat des Français. Ce programme repose en fait sur un déni des réalités économiques : le FN se comporte comme si la France pouvait envoyer paître ses partenaires commerciaux, rétablir unilatéralement des mesures protectionnistes et s’engager dans une guerre monétaire sans en subir les conséquences. Comme l’écrit Maël de Calan dans son livre intitulé La vérité sur le programme du Front national, le programme économique du FN est un « programme de capitulation » : le parti de Marine Le Pen considère que la France n’est pas compétitive, qu’elle est incapable de s’insérer dans la mondialisation et qu’elle doit par conséquent dresser des barrières pour se protéger de la concurrence des autres pays. Curieuse vision de la France pour un parti qui se dit « patriote ». Mais le plus navrant, c’est que le programme économique du Front National ne propose aucune réponse concrète aux défis économiques majeurs du XXIe siècle : compétitivité, innovation, révolution numérique, transition énergétique, régulation des marchés financiers, lutte contre les paradis fiscaux, etc. Le programme économique du FN est une dangereuse imposture qu’il faut dénoncer sans ambiguïtés pour éviter le naufrage.