Maîtriser l’immigration, ce n’est pas « faire le jeu de l’extrême-droite »

L’immigration est une chance pour la France à condition qu’elle soit maîtrisée et que les populations immigrées s’intègrent à la société française. Nous avons besoin d’une politique d’intégration plus ambitieuse : par l’instruction et la maîtrise de la langue, par l’accès à l’emploi et au logement, par l’accès à la formation professionnelle, par la régularisation des travailleurs sans-papiers qui exercent des métiers « en tension », l’État peut encore améliorer l’intégration des immigrés. Mais nous avons aussi besoin d’une vraie politique migratoire : la France doit pouvoir choisir, en toute transparence, qui elle accueille sur son territoire.

En matière d’immigration, quatre constats s’imposent aujourd’hui. Premièrement, la France n’a pas de politique migratoire : l’immigration relève de décisions administratives prises « au fil de l’eau ». Ainsi, depuis le début des années 2000, le nombre de permis long séjour délivrés annuellement à des primo-arrivants a doublé sans qu’aucune décision politique n’ait été prise dans ce sens. Deuxièmement, la France est incapable d’éloigner de son territoire les immigrés qui n’ont pas vocation à y rester : nous savons par exemple que plus de 90% des OQTF ne sont pas exécutées. Troisième constat : notre politique d’asile souffre de graves défaillances. Les délais de traitement des demandes d’asile sont excessivement longs et la plupart des demandeurs d’asile déboutés restent sur le territoire national. Dernier constat : le droit des étrangers est devenu un maquis administratif et juridique d’une grande complexité ; la justice administrative est aujourd’hui débordée par les contentieux liés aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers. Cette situation n’est pas acceptable.

En dépit des nombreuses lois votées depuis deux décennies dans le but de mieux contrôler l’immigration, il reste beaucoup à faire : nous devons durcir la lutte contre les filières d’immigration illégale, accélérer le traitement des demandes d’asile, simplifier les procédures contentieuses relatives aux titres de séjour, exécuter beaucoup plus rapidement les mesures d’éloignement du territoire, faciliter l’expulsion des délinquants étrangers multirécidivistes et renégocier les accords bilatéraux conclus avec les pays qui refusent le retour de leurs ressortissants expulsés du territoire français. Nous devons aussi adopter, chaque année, des quotas d’immigration professionnelle par métier ou par secteur d’activité, en fonction des besoins économiques réels du pays. Ces mesures ne sont pas « xénophobes », elles ne sont pas « d’extrême-droite ». Ce sont des mesures raisonnables, compatibles avec la constitution française et les traités européens.

Maîtriser l’immigration, ce n’est pas « faire le jeu de l’extrême-droite ». Au contraire, c’est le laxisme migratoire qui fait prospérer les partis d’extrême-droite. Les enquêtes d’opinion montrent clairement que l’immigration est aujourd’hui une préoccupation importante pour une majorité de Français. Qu’on le veuille ou non, deux Français sur trois considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France. Qu’on le veuille ou non, l’arrivée de populations extra-européennes alimente, chez les populations autochtones, un malaise identitaire de plus en plus prégnant qui offre à l’extrême-droite un terreau électoral favorable, comme l’ont montré les travaux du sociologue Laurent Bouvet. Les discours angéliques sur l’immigration et les appels à « ouvrir les frontières » sont à contre-courant des attentes de l’opinion et constituent un formidable carburant pour le vote RN.

L’immigration est un sujet suffisamment sérieux pour mériter que l’on en débatte de façon responsable, sans tomber dans les caricatures ou les postures morales : on peut défendre une politique migratoire ferme sans devenir, pour autant, complice de l’extrême-droite. Le projet défendu par l’extrême-droite est un projet xénophobe et violent : l’extrême-droite veut mettre les immigrés au ban de la société en s’attaquant à leurs droits fondamentaux. Le RN souhaite par exemple supprimer le droit du sol, mettre fin au regroupement familial et modifier la constitution pour y inscrire le principe de « préférence nationale », qui n’est rien d’autre qu’une discrimination systématique et institutionnalisée des étrangers. Les partis républicains doivent condamner tout discours xénophobe et toute solution conduisant à remettre en cause les droits fondamentaux des étrangers. Ils doivent démontrer leur capacité à maîtriser l’immigration sans jamais transiger sur les valeurs républicaines : cette ligne de crète ne sera pas facile à tenir, mais c’est la seule voie possible si l’on veut réellement faire refluer l’extrême-droite en France.

Face à la montée de l’extrême-droite, les sociaux-démocrates danois ont adopté à partir de 2015 une ligne de fermeté sur l’immigration : sous l’impulsion de Mette Frederiksen, le parti social-démocrate s’est rallié à la politique migratoire ultra-restrictive mise en place par la droite quelques années plus tôt. Ce virage idéologique s’est avéré payant puisque les sociaux-démocrates sont parvenus à reconquérir le pouvoir et à faire reculer le Parti Populaire Danois, principal parti d’extrême-droite du pays, dont le score aux élections législatives est passé de 21% en 2015 à seulement 2,6% en 2022. Défendue par l’ensemble des partis de gouvernement, cette politique migratoire fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus au Danemark. Comme l’écrivait le politologue Dominique Reynié dans la Revue Parlementaire en février 2023, « le cas danois trace l’unique chemin conduisant au reflux de la vague populiste par la réconciliation entre les électeurs et leur classe politique ». Chacun pourra tirer de l’exemple danois les conclusions qui s’imposent, ou continuer à se draper dans des postures moralisantes inefficaces contre l’extrême-droite.

Source: vie-publique.fr

Le chômage baisse, vraiment.

En 1993, le président de la République François Mitterrand déclarait : « Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé. » Phrase terrible qui, à l’époque, sonnait comme un aveu d’échec et d’impuissance. Mais avions-nous vraiment «tout essayé» ? Contrairement à la plupart de nos voisins européens qui ont, à partir des années 90, engagé des réformes du marché du travail et de la fiscalité des entreprises, les gouvernements français successifs n’ont mené que des réformettes, par peur d’affronter la colère de la rue ou celle des urnes. Pendant quarante ans, la France s’est contentée d’un traitement social du chômage : elle a subventionné le chômage à défaut de pouvoir l’endiguer. Pourtant, les politiques de l’offre ont porté leurs fruits chez nos voisins. Tandis que l’emploi repartait à la hausse dans la plupart des pays industrialisés, la France restait engluée dans le chômage de masse.

Il aura fallu attendre Emmanuel Macron pour que notre pays applique enfin les recettes qui ont fonctionné ailleurs. Comme conseiller du président Hollande, Macron fut l’artisan du CICE et du «pacte de responsabilité». Comme ministre de l’Économie, il fut l’inspirateur de la fameuse loi El-Khomri permettant aux accords d’entreprise de déroger au Code du travail. Comme président de la République, il a poursuivi et approfondi cette politique : assouplissement du droit du travail, réforme de l’assurance-chômage, simplification des démarches administratives des entrepreneurs, réduction des impôts de production et des cotisations patronales. Cette politique fut complétée par un effort sans précédent en faveur de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Et les résultats sont là : depuis 2019, la France enregistre des niveaux record de création d’emplois, et ce malgré la crise sanitaire. En 2022, le taux de chômage de la France est redescendu à 7,1%, son plus bas niveau depuis… 1982. François Mitterrand s’était donc trompé : contre le chômage, on n’avait pas tout essayé. On avait seulement essayé ce qui ne marchait pas.

Faut-il crier victoire ? Non. Parce que nous n’avons pas encore renoué avec le plein emploi. Parce que des millions de Français vivent encore dans la précarité. Parce que nous n’avons pas assez de recul pour affirmer que cette baisse du chômage est un phénomène durable. Parce que notre situation économique reste fragile à cause d’une dette publique abyssale et des nombreuses incertitudes liées à la guerre en Ukraine et à la crise climatique. Mais cette embellie sur le marché du travail a tout de même de quoi nous réjouir. Or, les bons chiffres du chômage se heurtent à un mur d’indifférence dans l’opinion publique et dans les rangs de l’opposition. Tous les gouvernements sans exception cherchent depuis quarante ans à faire baisser le chômage, et quand un gouvernement parvient à le faire, nous regardons ailleurs. Nous préférons l’autoflagellation à l’autosatisfaction, les passions tristes aux cris de joie. Pendant ce temps, le chômage baisse.

Face au RN, la diabolisation est inopérante

Elisabeth Borne a déclaré que le RN était « l’héritier de Pétain ». Emmanuel Macron lui a rétorqué en Conseil des ministres que les « arguments moraux » étaient inefficaces contre l’extrême droite, et qu’il fallait combattre le RN « par le réel ». Et s’ils avaient tous les deux raison ?

Lorsque Jean-Marie Le Pen a fondé le Front National en 1972, il a fédéré dans un même parti des néonazis, des royalistes, des catholiques intégristes, des anciens de l’OAS, des anciens collaborateurs, des admirateurs de Pétain et des nostalgiques de Vichy. Même si le RN actuel est très différent du FN des origines, il n’en demeure pas moins son héritier direct. Marine Le Pen a d’ailleurs, à plusieurs occasions, cherché à réhabiliter Pétain en minimisant la responsabilité de l’État français dans la Shoah. Il est donc important de rappeler d’où vient le parti de Marine Le Pen et dans quelles traditions politiques il s’inscrit.

Nous serions bien naïfs, en revanche, de croire que la diabolisation et les discours moralisateurs constituent encore une arme efficace contre le RN. Qu’on le veuille ou non, le parti de Marine Le Pen s’est dédiabolisé et institutionnalisé, au point de devenir le premier parti d’opposition. Le RN a rassemblé 3,5 millions de voix aux élections législatives de 2022, et Marine Le Pen en a réuni plus de 13 millions au second tour de la présidentielle. Les gens qui ont voté pour elle ne sont ni des fascistes ni des pétainistes ; beaucoup ne considèrent même pas le Rassemblement National comme un parti d’extrême droite. Face au RN, la rhétorique antifasciste est non seulement inefficace mais contre-productive puisqu’elle renforce, chez les sympathisants de ce parti, le sentiment d’être incompris et méprisés.

Il faut combattre le RN pour ce qu’il est aujourd’hui, non pour ce qu’il était il y a cinquante ans. Il faut combattre le RN sur son projet, démontrer inlassablement que son programme est incohérent, irréaliste et dangereux. Mais il faut surtout combattre le RN en s’attaquant aux causes de son ascension. Ce parti se nourrit de la crise économique et de la paupérisation des classes moyennes ; il se nourrit de la peur du déclassement ; il se nourrit du sentiment que l’État ne protège plus les Français contre la désindustrialisation, contre la délinquance et l’insécurité, contre l’immigration de masse et l’islamisme. Les partis de gouvernement doivent entendre ces angoisses et leur apporter des réponses. Pour faire reculer le RN, il faut gagner la bataille de l’emploi et de la réindustrialisation, redonner dignité et confiance dans l’avenir aux travailleurs et aux travailleuses de ce pays. Mais il faut aussi restaurer l’ordre républicain et l’autorité de l’État, maîtriser plus efficacement les flux migratoires, lutter plus activement contre l’islamisme et contre toutes les formes de communautarisme et de séparatisme qui minent la République.

Aucun sujet n’est une chasse gardée de l’extrême droite. Les partis de l’arc républicain ne doivent surtout pas laisser au RN le monopole des questions migratoires, sécuritaires et identitaires. Apporter des réponses concrètes et républicaines aux attentes des Français sur toutes ces questions, ce n’est pas « faire le jeu de l’extrême droite », ce n’est pas « recycler les thèses du RN », c’est ramener vers le camp républicain des électeurs qui, par colère ou par désespoir, se laissent aujourd’hui tenter par le parti de Marine Le Pen. C’est cela, combattre le RN « par le réel ».

M. Le Pen.