2020. Bilan d’une année noire.

En 2020, la France aura payé un lourd tribut au coronavirus : plus de 60.000 décès liés à l’épidémie de covid-19 et une économie plombée par deux confinements. Notre pays connaît actuellement sa pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale, et selon toute vraisemblance la situation économique devrait continuer à se dégrader en 2021. Les conséquences psychologiques et sociales de la crise sont préoccupantes elles aussi : chômage, précarité, isolement, repli sur soi, dépression. Pour limiter la circulation du virus, on a sacrifié des catégories entières de la population : les pensionnaires des EHPAD, les étudiants, les restaurateurs, le monde de la culture et du spectacle, pour ne mentionner que ces quelques exemples. Malgré les espoirs suscités par l’arrivée des premiers vaccins contre le covid, les Français ont le moral en berne car ils savent que le bout du tunnel est encore loin.

Indiscutablement, l’exécutif a manqué de réactivité face à la crise. Les manquements ont été nombreux et lourds de conséquences : l’ampleur de l’épidémie a longtemps été minimisée ; la pénurie de masques de protection n’a pas du tout été anticipée ; le gouvernement a attendu le mois de mai pour généraliser les tests de dépistage alors que l’OMS avait préconisé un dépistage massif des populations dès le mois de mars. En outre, le gouvernement s’est discrédité par une communication brouillonne et des changements de stratégie incompréhensibles, notamment sur la question des masques. On ne saurait cependant imputer l’ensemble de nos malheurs à l’incurie de l’exécutif. L’ampleur et la brutalité de l’épidémie ont surpris tous les gouvernements européens : aucun pays ne s’était préparé à une telle crise. Le gouvernement français a dû naviguer à vue sans aucun recul sur la situation ; il a dû prendre dans l’urgence des décisions extrêmement délicates sur la base de données scientifiques parcellaires, en écoutant des expertises parfois divergentes. La crise sanitaire a aussi exacerbé les fragilités structurelles de notre système de santé : le manque de personnels, le manque de moyens, sans oublier les lourdeurs administratives d’une bureaucratie déconnectée du terrain et engluée dans des procédures chronophages. Ces lourdeurs, bien réelles, ont largement contribué à notre manque de réactivité : elles ont par exemple retardé l’homologation, la fabrication et la distribution des tests au moment où nous en avions le plus besoin.

Malgré tout, la gestion de la crise sanitaire n’a pas été ce désastre que l’on a si souvent dénoncé. Au vu de ce qui s’est passé chez nos voisins italiens, espagnols, britanniques et belges, la France n’a pas à rougir de la façon dont elle a affronté l’épidémie. A force de pointer nos échecs, on finit par ne plus voir nos réussites : notre système hospitalier a tenu bon, grâce à la mobilisation remarquable des personnels soignants et grâce aux mesures de confinement qui ont freiné la circulation du virus. Par ailleurs, le gouvernement a très tôt mis en place des mesures d’urgence destinées à soutenir les entreprises et à protéger les salariés. Deux dispositifs ont été particulièrement efficaces : premièrement, les PGE (Prêts Garantis par l’Etat) ont sauvé des milliers de petites et moyennes entreprises ; deuxièmement, la généralisation du chômage partiel a permis de limiter les licenciements et d’éviter un effondrement des revenus. A défaut d’avoir anticipé la crise sanitaire, le gouvernement français a donc su déployer des « filets de sécurité » qui ont considérablement limité l’impact social de la crise, ce qui mérite tout de même d’être salué.

Il est encore trop tôt pour mesurer toutes les conséquences politiques de la crise sanitaire. On sait déjà, en revanche, que l’explosive réforme des retraites a été ajournée sine die et que le projet initial est enterré. On sait aussi que la crise a remis en cause l’un des piliers du macronisme : la rigueur budgétaire. La politique anti-crise du gouvernement a fait exploser le déficit public, comme le résume la fameuse formule d’Emmanuel Macron « quoi qu’il en coûte ». Ce choix était parfaitement justifié dans l’urgence de la crise, mais ne soyons pas naïfs : un jour ou l’autre, il faudra payer la facture. Même si la Banque Centrale Européenne rachète et annule une partie des obligations émises par les Etats membres de l’Union, l’ardoise restera chargée. Une fois notre économie rétablie, l’Etat devra consentir des efforts importants pour maîtriser son déficit, éviter des hausses d’impôts déraisonnables et préserver la confiance des marchés financiers. Les réalités économiques se rappelleront bientôt à nous de façon brutale : il faudra y préparer l’opinion publique.

A la crise sanitaire est venue s’ajouter une crise sécuritaire. Notre pays a été de nouveau frappé par la folie criminelle du djihadisme, avec l’assassinat de Samuel Patty à Conflans-Sainte-Honorine et le massacre de la basilique Notre-Dame de Nice. Le gouvernement a présenté en décembre sa loi contre les séparatismes, un texte très attendu sur lequel l’exécutif travaillait depuis le début de l’année 2020 mais dont l’élaboration a été retardée par l’épidémie : il aura fallu dix mois de travail, un changement de gouvernement et deux attentats pour que ce projet de loi puisse voir le jour. Cette « loi confortant les principes républicains » comprend toute une série de mesures visant à lutter plus efficacement contre l’islamisme et le communautarisme : elle facilite la dissolution des associations qui contreviennent aux principes républicains garantis par la Constitution, elle prévoit de mieux encadrer l’enseignement à domicile et l’enseignement privé hors-contrat, elle renforce le principe de neutralité du service public, elle durcit l’arsenal répressif contre la polygamie et interdit les « certificats de virginité ». Mais il est clair qu’une telle loi ne suffira pas à lutter contre les séparatismes : la reconquête des territoires perdus de la République passera aussi par des initiatives économiques et sociales fortes en direction des banlieues déshéritées. Ce programme d’urgence pour les banlieues existait, il avait un nom et un visage : c’était le Plan Borloo. Hélas, le président de la République l’a balayé d’un revers de main en 2018 sans proposer d’alternatives sérieuses.

La multiplication des images de violences policières a exacerbé la défiance d’une partie des Français vis-à-vis des forces de l’ordre. La proposition de loi sur la « Sécurité Globale » a mis de l’huile sur le feu, en particulier son fameux article 24 qui interdit la diffusion « malveillante » d’images montrant le visage d’un policier. Cette mesure, réclamée depuis des années par les syndicats de police, vise à protéger l’identité des policiers sur Internet, mais les adversaires du texte y voient surtout une atteinte à la liberté d’informer. L’article 24 a d’ailleurs été sévèrement critiqué par la Défenseure des Droits et par la Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU, qui estiment toutes les deux que ce texte n’apporte pas de garanties suffisantes pour les journalistes et les lanceurs d’alerte. Afin de réparer le nécessaire lien de confiance qui doit unir la nation à ceux qui la protègent, Emmanuel Macron  a annoncé un « Beauvau de la Sécurité » pour janvier : l’initiative est louable mais tardive, puisqu’elle survient après des années d’inaction et de déni face au problème des brutalités policières. Soyons clairs : il n’est pas question de jeter l’anathème sur l’ensemble de la profession. L’immense majorité des policiers fait son travail correctement, dans des conditions souvent très difficiles, en affrontant quotidiennement les insultes, les menaces et la haine anti-flic ordinaire. Mais c’est l’image de la police toute entière qui est salie par la violence de quelques uns. Et c’est à l’Etat qu’il incombe de faire le ménage.

Un triple défi attend l’exécutif en 2021 : gagner la bataille sanitaire, gagner la bataille de la relance économique, et gagner la bataille de la confiance. Cette dernière bataille sera sans doute la plus difficile des trois, car la confiance des Français dans leurs institutions a été mise à rude épreuve depuis le début du quinquennat. Certains dénoncent une « dérive autoritaire » du pouvoir ; d’autres vont même jusqu’à parler de « fascisme » et croient déjà entendre le bruit des bottes ! Est-ce bien sérieux ? Tâchons de ne pas tomber dans ce genre de caricatures outrancières. La France est une démocratie imparfaite, certes, mais c’est une démocratie. Il n’y a pas de « dérive autoritaire » du pouvoir. Il y a en revanche une inflexion sécuritaire de la politique d’Emmanuel Macron. Et cette inflexion contredit la promesse de liberté et de rénovation démocratique sur laquelle le candidat Macron s’est fait élire en 2017.

Le Centriloque vous souhaite une belle année 2021 et vous remercie pour votre fidélité.

2022: l’hypothèse Le Pen

Marine Le Pen peut-elle remporter la présidentielle de 2022 ? La réponse est oui. La patronne du Rassemblement National n’a jamais été aussi proche de l’Elysée. Ses chances de victoire en 2022 seront plus grandes qu’en 2017. Les débats anxiogènes autour de questions politiquement sensibles telles que l’immigration, l’islamisme et l’insécurité profitent toujours à l’extrême droite. En outre, il est clair que le « front républicain », déjà moribond en 2017, sera encore plus fragile en 2022 : si le second tour oppose Marine Le Pen à Emmanuel Macron ou à un candidat issu de la droite, une partie du « peuple de gauche » ne fera pas le déplacement. Si le second tour oppose Marine Le Pen à un candidat issu de la gauche, c’est le « peuple de droite » qui boudera les urnes. Dans ces conditions, il n’y aura plus grand monde pour faire barrage à l’extrême droite. 

Marine Le Pen peut-elle obtenir une majorité aux législatives ? La réponse est oui. Car sous la Cinquième République, tout se joue à la présidentielle : un président nouvellement élu obtient toujours une majorité aux législatives. L’élection présidentielle bouleverse les rapports de forces et recompose le champ politique. N’oublions pas qu’en 2017 beaucoup pensaient qu’Emmanuel Macron n’aurait pas de majorité pour gouverner, car son parti était trop jeune et n’avait aucun ancrage local. Pourtant, La République En Marche a obtenu la majorité absolue aux législatives. Il en sera de même pour le Rassemblement National si Marine Le Pen est élue à la tête de l’Etat. Sans oublier de probables ralliements opportunistes chez certains élus de droite qui n’auront aucun scrupule à faire ce qu’a fait l’ex-LR Thierry Mariani lors des européennes : en cas de victoire de Marine Le Pen, la digue séparant la droite républicaine de l’extrême droite ne résistera pas.

Marine Le Pen pourra-t-elle appliquer son programme ? Oui, partiellement. Marine Le Pen pourra détricoter quelques réformes de ses prédécesseurs et mettre en œuvre certaines mesures qui ne requièrent pas de rompre avec les principes constitutionnels ni avec les Traités européens. Les mesures les plus radicales seront soit abandonnées, soit vidées de leur contenu. Marine Le Pen utilisera vraisemblablement les premiers mois de son quinquennat pour mettre en application quelques mesures phares de son projet présidentiel et ainsi donner des gages aux électeurs qui ont voté par adhésion ; sa majorité cherchera ensuite à gérer le pays de façon plus pragmatique, comme le ferait un parti de droite ultra-conservateur : cette expérience politique serait alors comparable à celle d’un Sebastian Kurz en Autriche ou d’un Viktor Orban en Hongrie.

Comment barrer la route à Marine Le Pen ? Etant donné qu’on ne peut plus compter sur la constitution d’un large front républicain au second tour de la présidentielle, la seule façon de faire barrage à l’extrême droite, c’est d’éliminer Marine Le Pen dès le premier tour. Si Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, elle aura des chances de remporter la présidentielle. Si elle est battue au second tour, son parti sortira quand même renforcé du scrutin et pourra facilement s’imposer comme le premier parti d’opposition à l’issue des législatives. Mais pour que Marine Le Pen soit battue dès le premier tour, plusieurs conditions doivent être réunies : 1) un nombre limité de candidatures à gauche et à droite ; 2) des candidats crédibles et charismatiques, capables de fédérer au-delà des frontières de leur famille politique ; 3) une campagne électorale de qualité, qui ne soit pas focalisée uniquement sur les questions sécuritaires et migratoires ; 4) une forte participation des électeurs ; 5) une bonne dose de « vote utile » dès le premier tour afin d’éviter une trop forte dispersion des suffrages. L’éviction de Marine Le Pen dépendra donc autant du comportement des électeurs que de l’offre politique.

M. Le Pen.

Giscard, libéral et européen

Valéry Giscard d’Estaing s’en est allé. Enarque et polytechnicien, ancien ministre des Finances de Charles de Gaulle et de Georges Pompidou, il fut élu président de la République en 1974, à seulement 48 ans. Giscard n’était pas un centriste pure souche : c’était un homme de droite, mais ses convictions libérales et pro-européennes ont fait de lui le candidat naturel des centristes à la présidentielle de 1974. Il tenta de gouverner la France au centre, dans un contexte pourtant marqué par une bipolarisation croissante de la vie politique. Il voulut incarner une troisième voie entre le conservatisme gaullien et le socialisme. Giscard fut aussi une figure tutélaire de l’UDF, l’Union pour la Démocratie Française, ce grand cartel qui rassembla pendant vingt ans les partis du centre et du centre-droit.

Giscard était un authentique libéral. Dans son livre Démocratie Française paru en 1976, il théorisa la notion de « société libérale avancée », une société fondée sur les principes du libéralisme politique (défense des libertés fondamentales, séparation des pouvoirs), du libéralisme économique (économie de marché, libre concurrence) et du libéralisme culturel (liberté des mœurs). Giscard avait compris, après Mai 68, que la société française avait besoin d’une plus grande liberté, et qu’il fallait moderniser les institutions de la République. Son septennat fut marqué par l’abaissement de la majorité à 18 ans, le démantèlement de l’ORTF, la création d’un secrétariat d’Etat à la condition féminine, la loi Veil sur l’IVG, la reconnaissance du divorce par consentement mutuel. Giscard renforça également les droits du Parlement : la révision constitutionnelle de 1974 permit en effet à 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil Constitutionnel, une procédure encore fréquemment employée par l’opposition aujourd’hui.

Giscard était un libéral modéré, un « social-libéral » qui voulait concilier liberté économique et protection sociale. Lors de son mandat présidentiel, il fut confronté à une crise économique de grande ampleur provoquée par les deux chocs pétroliers. Cette crise mit fin brutalement à la prospérité des « Trente Glorieuses » ; elle provoqua une explosion du chômage et de l’inflation, deux fléaux qui plombèrent le bilan économique de Giscard et contribuèrent grandement à sa défaite en 1981 contre François Mitterrand. Face à la crise, Giscard s’efforça pourtant de protéger les Français en consolidant l’Etat-Providence : il généralisa la Sécurité Sociale à toutes les catégories professionnelles et mit en place l’indemnisation des chômeurs à 90% de leur ancien salaire pendant un an. Ainsi, à défaut d’avoir pu relancer l’économie et stopper la montée du chômage, Valéry Giscard d’Estaing limita les impacts sociaux de la crise.

Giscard était aussi un Européen convaincu. Tout au long de sa carrière politique il promut la construction européenne avec une remarquable constance. Avec son partenaire allemand Helmut Schmidt, il contribua à la création du Conseil Européen ; il plaida pour l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Il défendit l’entrée de la Grèce dans le marché commun : « on ne ferme pas la porte à Platon », aurait-il déclaré. Giscard fut aussi l’inspirateur du « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », que les Français et les Néerlandais rejetèrent par référendum en 2005. Le Traité de Lisbonne, adopté en 2007, reprit certaines innovations contenues dans le Traité constitutionnel telles que la création d’un Haut-Représentant de l’Union pour les Affaires Etrangères.

Giscard s’en est allé. Et la famille centriste se sent un peu orpheline.