Le « référendum d’initiative citoyenne », une fausse bonne idée

Le RIC, ça sonne bien. Le RIC, c’est chic. Le « référendum d’initiative citoyenne » est devenu la principale revendication des gilets jaunes. Mais l’idée a émergé assez tardivement. Au début du mouvement, les revendications concernaient uniquement les impôts et le pouvoir d’achat : si un gilet jaune avait lâché l’idée d’un « référendum d’initiative citoyenne » fin novembre, il serait sans doute passé pour un utopiste ou un hurluberlu. De quoi s’agit-il exactement ? De laisser au peuple français la possibilité de soumettre des propositions au vote des citoyens sans passer par l’aval du Parlement. Les modalités de ce référendum restent cependant assez floues.

Se pose d’emblée une question essentielle : à quoi servira ce référendum d’initiative citoyenne ? A faire une proposition de loi ? A demander l’abrogation d’une loi ? A modifier la Constitution ? Autre question tout aussi essentielle : quel sera le champ d’application de ce référendum ? Doit-il se limiter à certains domaines spécifiques ou pourra-t-il s’appliquer à n’importe quel sujet ? S’il n’existe aucune restriction, les citoyens pourront être amenés à se prononcer sur tout et n’importe quoi : sous la pression d’une partie des citoyens, on pourrait ainsi organiser des référendums sur des questions telles que le rétablissement de la peine de mort, la limitation du droit à l’avortement ou la sortie de l’Union européenne.

Le référendum peut être dangereux : c’est pourquoi il ne faut pas en abuser. Il favorise la démagogie et le mensonge ; il attise les passions et fracture l’opinion publique de façon binaire sur des questions complexes qui nécessitent parfois de la nuance et des compromis subtiles. En outre, le référendum offre aux partis extrémistes, mal représentés au Parlement, l’occasion d’influencer fortement l’opinion publique : au Royaume-Uni, le parti populiste Ukip a mené une campagne nauséabonde et mensongère lors du référendum sur le Brexit ; en Suisse, l’extrême droite a obtenu l’organisation d’un référendum sur l’interdiction des minarets, puis elle a réussi à faire pencher l’opinion publique en faveur de cette interdiction.

Mais ce qui me gêne le plus, dans ce « référendum d’initiative citoyenne », c’est le fait qu’il soit envisagé comme une arme contre le Parlement. Car cette soif de référendum exprime une défiance envers les élus, et envers la démocratie représentative elle-même. Derrière cette aspiration à une forme de démocratie plus directe, il y a la volonté de délégitimer le Parlement et, plus généralement, les responsables politiques. Les citoyens revendiquent le droit de légiférer à la place des législateurs qu’ils ont eux-mêmes élus. L’opinion du simple citoyen est alors considérée comme supérieure à l’expertise du parlementaire, y compris sur des sujets techniques d’une grande complexité. Certains gilets jaunes évoquent même un « référendum révocatoire » qui permettrait de révoquer des élus avant la fin de leur mandat, une idée qu’avait défendue Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017.

La démocratie représentative n’est pas un système parfait, mais je reste persuadé que c’est le moins imparfait des systèmes. Le principe de représentation est le fondement de toute la tradition républicaine française : il est né de la Révolution, lorsque les députés du Tiers état se sont proclamés « assemblée nationale » et qu’ils ont commencé à légiférer au nom de la nation toute entière. Le Parlement représente la nation : c’est au nom de la nation qu’il vote les lois. A quoi sert-il d’élire des représentants pour ensuite les priver du pouvoir législatif qui leur a été confié par le peuple ? Beaucoup de Français dénigrent aujourd’hui un Parlement qu’ils ont eux-mêmes affaibli à force de bouder les urnes : le taux d’abstention était de 51% au premier tour des législatives de 2017, et de 57% au second tour ! Triste contradiction : les Français ne votent pas mais se plaignent d’être mal représentés. 

Le RIC est une fausse bonne idée. Je ne pense pas qu’il faille opposer le peuple à ses représentants. Je ne pense pas qu’il faille envisager le référendum comme une alternative à la démocratie représentative. Il existe déjà, dans notre Constitution, un « référendum d’initiative partagée » : il est en effet possible de convoquer un référendum à l’initiative d’1/5 des membres du Parlement, soutenus par 1/10 du corps électoral, soit environ 4,5 millions d’électeurs. Cette procédure introduite par la révision constitutionnelle de 2008 n’a jamais été appliquée, mais elle peut être améliorée : on peut abaisser le seuil de signatures nécessaires en le ramenant, par exemple, à 1 million.

Mais il faut aussi améliorer la représentativité du Parlement, et cela doit passer par l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Le scrutin majoritaire prive de représentation une partie trop importante du corps électoral. Je pense que 25% des députés pourraient être élus à la proportionnelle, ce qui permettrait aux petites formations d’être mieux représentées sans empêcher la mise en place de majorités politiques stables.

Lycée Blanquer: comment flinguer une bonne réforme en trois leçons?

J.M. Blanquer.

La réforme du lycée pilotée par Jean-Michel Blanquer prévoit de réorganiser en profondeur la structure des enseignements : les séries L, ES et S des lycées généraux seront remplacées par un lycée « modulaire » comprenant un tronc commun et des enseignements de spécialité. Cette réforme a pour objectif d’individualiser davantage les parcours de formation et de briser la hiérarchie des filières. La réforme Blanquer prévoit aussi une refonte du baccalauréat : le poids du contrôle continu dans la note globale des candidats sera renforcé afin d’alléger le calendrier des épreuves terminales et de mieux prendre en considération le travail fourni par les élèves pendant leur scolarité au lycée : des évaluations intermédiaires, sur le modèle des « partiels » de l’université, seront organisées en interne dans chaque établissement selon un calendrier fixé par le ministère ; une banque de sujets sera également définie au niveau national afin d’harmoniser les évaluations.

La réforme Blanquer partait d’une intention tout à fait louable : celle de remettre l’élève au cœur du système éducatif et de préparer plus efficacement les lycéens à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Pourtant, cette réforme provoque de vives contestations et sa mise en œuvre s’annonce déjà catastrophique. Comment flinguer une bonne réforme en trois leçons ?

Leçon numéro 1 : fixer un calendrier intenable. La réforme Blanquer est mise en place dans la précipitation : pour des raisons essentiellement politiques, l’exécutif souhaite en effet que le nouveau bac entre en vigueur dès la session 2021, avant la prochaine présidentielle. Or, pour tenir ce calendrier, il faut impérativement que la réforme soit mise en œuvre sur deux ans, alors qu’il serait préférable de le faire sur trois ans (d’abord en Seconde, puis en Première et, dans un troisième temps, en Terminale). Le calendrier absurde imposé par le gouvernement prévoit de lancer la réforme simultanément dans les classes de Seconde et de Première dès la rentrée 2019, ce qui entraînera des incohérences pédagogiques et une énorme charge de travail pour les enseignants qui auront deux, voire trois nouveaux programmes à préparer la même année. Ce calendrier empêche aussi les équipes enseignantes de s’approprier cette réforme et de mener, en amont, le travail de réflexion qui semble nécessaire pour la mettre en place de façon sereine dans les établissements.

Leçon numéro 2 : entretenir le flou sur les modalités de mise en œuvre. En décembre 2018, bon nombre d’incertitudes subsistent encore sur des points pourtant essentiels de la réforme. Ainsi, on ignore comment sera fixée la carte des enseignements de spécialité dans chaque établissement : sera-t-elle imposée par le rectorat ou négociée entre le rectorat et les établissements ? De même, on ignore encore selon quelles modalités les élèves choisiront leurs enseignements de spécialité : pourront-ils choisir librement ? Le conseil de classe donnera-t-il un avis en fin de Seconde ? Le choix des trois spécialités sera-t-il totalement libre ou y aura-t-il des « triplettes » de spécialités prédéfinies au niveau national ? Ces zones d’ombre sont angoissantes pour les élèves. Les enseignants, eux aussi dans le flou, peinent à répondre aux inquiétudes exprimées par les familles. Voilà donc comment la réforme Blanquer, qui devait aider les élèves à mieux vivre leur scolarité au lycée, se transforme en un monstre technocratique abscons et anxiogène.

Leçon numéro 3 : supprimer des postes. Le budget 2019 prévoit la suppression de 2.650 postes dans l’enseignement secondaire. Bien que les suppressions de postes annoncées ne soient pas directement imputables à la réforme du lycée, et bien que les 2.650 postes en question ne représentent qu’une part infime de l’ensemble des personnels enseignants du second degré (cela équivaut en moyenne à 0,4 poste par établissement), cette annonce eut un effet catastrophique sur l’opinion publique et sur le moral des enseignants. Les suppressions de postes ont été perçues comme une conséquence de la réforme du lycée. Elles risquent, en outre, de compliquer la mise en œuvre de cette réforme dans certains établissements difficiles où le nombre d’élèves par classe pourrait encore augmenter.

La réforme de Jean-Michel Blanquer a souvent été présentée comme une réforme technocratique imposée « par en haut ». C’est oublier que cette réforme est le fruit d’une grande concertation nationale menée auprès des instances représentatives des élèves, et que le principe du « lycée modulaire » était une demande exprimée par les élèves eux-mêmes dans le cadre des Conseils de Vie Lycéenne. Mais les conditions désastreuses dans lesquelles on met en place actuellement cette réforme sont en train de gâcher tout ce travail de réflexion et d’aggraver la défiance des Français envers l’école de la République. A ce stade, un report de la réforme ne serait-il pas souhaitable pour apaiser les angoisses et pour laisser « respirer » les établissements ?

Macron infléchit sa politique sous la pression des « gilets jaunes »

Lors de son allocution du 10 décembre, Emmanuel Macron a d’abord envoyé un message de fermeté en condamnant la violence des casseurs et en soulignant que ces derniers ne bénéficieraient d’aucune indulgence : ce message était nécessaire et salutaire face aux actes inadmissibles qui ont été commis en marge des manifestations de « gilets jaunes ». Le président de la République a aussi écarté l’hypothèse d’un rétablissement de l’ISF. Le remplacement de l’ISF par un « impôt sur la fortune immobilière » a pour but d’inciter les grandes fortunes à investir dans les entreprises plutôt que dans la constitution de patrimoines dormants : cette mesure semble avoir des effets positifs puisque les investissements ont connu une forte croissance en 2018. Restaurer l’ISF tel qu’il existait avant 2017 serait inutile économiquement, voire contre-productif. 

Mais le président de la République a aussi fait plusieurs gestes en faveur du pouvoir d’achat des Français. Le SMIC net mensuel augmentera de 100 euros dès le début de l’année 2019 grâce à une revalorisation accélérée de la prime d’activité. En outre, Emmanuel Macron a appelé les entreprises à verser une prime exceptionnelle de fin d’année, qui sera exonérée d’impôts et de cotisations. Il a également annoncé la défiscalisation totale des heures supplémentaires, mesure mise en place par Nicolas Sarkozy puis abrogée sous François Hollande. Enfin, Emmanuel Macron a décidé d’annuler la hausse de la CSG pour les retraités touchant moins de 2.000 euros par mois.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens car elles permettront un gain de pouvoir d’achat effectif et rapide sans rogner la compétitivité des entreprises. Elles posent toutefois un réel problème de financement, puisque leur coût est estimé à 10 milliards d’euros par le gouvernement et que ces dépenses n’ont pas été prévues dans le budget 2019. On peut s’interroger en particulier sur le financement des baisses de charges et de cotisations, car la politique sociale d’Emmanuel Macron se fondait jusqu’à présent sur un équilibre budgétaire subtil dans lequel la hausse de la CSG permettait de compenser la baisse des cotisations salariales : en annulant partiellement l’augmentation de la CSG, le chef de l’Etat se prive d’un levier budgétaire indispensable au financement de notre système social.

Par ailleurs, Emmanuel Macron a confirmé l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants en 2019. Cette reculade est regrettable car, une fois encore, c’est l’écologie que l’on sacrifie. Nous n’avons pas le droit de faire marche arrière sur la transition énergétique : nous devons sortir du « tout pétrole », et cela passera inévitablement par des mesures impopulaires et contraignantes. L’objectif premier de la fiscalité écologique est de changer les comportements : en augmentant graduellement la taxation des énergies fossiles et en réduisant la taxation des énergies renouvelables, le gouvernement veut inciter les Français à se tourner vers des énergies plus propres. L’urgence climatique nous oblige à repenser totalement notre modèle énergétique, et la fiscalité écologique est l’un des leviers qui permettront d’atteindre cet objectif. Il ne fallait pas faire marche arrière sur la hausse de la TICPE : il fallait rendre cette mesure plus acceptable aux yeux des Français, par exemple en l’élargissant au kérosène des avions et au fuel des cargos, et en proposant des mesures d’accompagnement plus incitatives.

Sans aller jusqu’à parler d’un « tournant social », on peut dire que les annonces d’Emmanuel Macron marquent une inflexion de la politique présidentielle. Jusqu’à présent, le gouvernement avait appliqué avec une détermination sans failles le programme d’Emmanuel Macron. Pour la première fois, sous la pression d’un mouvement populaire, l’exécutif modifie sa feuille de route et fait marche arrière sur des mesures fortement contestées : la hausse de la CSG et la hausse de la « taxe carburant ». Cette inflexion est à double tranchant : elle peut être perçue comme un geste positif en faveur des classes moyennes et populaires, mais elle peut aussi créer un précédent et inciter les gilets jaunes les plus « jusqu’au-boutistes » à poursuivre la mobilisation pour obtenir d’autres concessions. Hélas, quand on écoute les réactions de certains gilets jaunes au discours du président, on mesure à quel point leurs intentions sont confuses. On en vient presque à se demander si l’objectif des gilets jaunes les plus radicaux n’est pas d’entretenir le chaos et de faire durer le mouvement à tout prix, quitte à formuler des revendications de plus en plus surréalistes.

Il ne faut pas faire marche arrière sur la « taxe carburant »

Le Premier Ministre a dévoilé trois mesures pour mettre fin à la révolte des gilets jaunes : un moratoire de six mois sur la hausse de la taxe carburant, un gel des tarifs du gaz et de l’électricité pendant l’hiver et un report du nouveau contrôle technique. Il s’agit de simples mesures d’apaisement destinées à calmer la colère des gilets jaunes et à créer les conditions d’un dialogue plus serein avec les représentants du mouvement. Cette volonté d’apaisement doit être saluée, mais je doute que les mesures annoncées soient de nature à calmer les casseurs et à satisfaire les gilets jaunes les plus extrémistes : les annonces d’Edouard Philippe arrivent tardivement, deux semaines après les premières manifestations de gilets jaunes. Or, depuis le 17 novembre, le mouvement n’a cessé de se radicaliser et de se politiser.

Certains gilets jaunes réclament l’abandon pur et simple de toute augmentation de la taxe carburant : cette exigence est irrecevable. Nous ne pouvons pas faire marche arrière sur la transition énergétique : nous devons sortir du « tout pétrole », et cela passera inévitablement par des mesures impopulaires et contraignantes. La hausse de la TICPE ne sert ni à « racketter » les automobilistes ni à « financer la suppression de l’ISF », comme on l’entend trop souvent sur les réseaux sociaux et dans les discussions de café du commerce. L’objectif premier de la fiscalité écologique est de changer les comportements : en augmentant graduellement la taxation des énergies fossiles et en réduisant la taxation des énergies renouvelables, le gouvernement veut inciter les Français à réduire leur consommation de carburant et à se tourner vers des énergies plus propres. L’urgence climatique nous oblige à repenser totalement notre modèle énergétique, et la fiscalité écologique est l’un des leviers qui permettront d’atteindre cet objectif.

Il ne faut pas faire marche arrière sur la hausse de la TICPE, mais il faut rendre cette mesure acceptable aux yeux des Français. Les classes moyennes et populaires ont en effet le sentiment d’être les seules à supporter le coût de la transition énergétique : il est injuste, par exemple, que le fuel des cargos et le kérosène des avions ne soient pas soumis aux mêmes niveaux de taxation que le diesel des automobilistes. Il faut aussi renforcer les mesures d’accompagnement : même revalorisée, la « prime à la conversion » demeure insuffisante. Mais il faut surtout que la hausse de la TICPE soit compensée par des mesures fortes en faveur du pouvoir d’achat des Français, car c’est bien là que réside le cœur du problème. Le gouvernement a déjà réduit la taxe d’habitation : il faut maintenant la supprimer pour les ménages modestes. Le gouvernement veut « désocialiser » les heures supplémentaires : pourquoi ne pas les défiscaliser totalement, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy ? Le gouvernement a déjà revalorisé la prime d’activité : pourquoi ne pas aller plus loin et supprimer intégralement les charges sur le SMIC afin d’augmenter significativement les bas salaires ?

Je pense qu’il y a beaucoup à faire pour apaiser le « ras-le-bol fiscal » et réparer, au moins partiellement, le lien qui s’est brisé entre le président de la République et les Français. Mais il faut aussi qu’Emmanuel Macron abandonne sa posture « jupitérienne » arrogante et accepte d’entendre le malaise des classes moyennes et populaires, malaise dont les conséquences électorales pourraient être désastreuses lors du scrutin européen de 2019.

Quelles réponses apporter à la révolte des gilets jaunes?

La place de l’Etoile et les Champs-Elysées ont connu un troisième samedi de violences en marge de la manifestation des gilets jaunes. Nous avons assisté à de véritables scènes de guérilla urbaine en plein Paris : des véhicules et un immeuble ont été incendiés, des CRS ont été tabassés par des gilets jaunes et l’Arc de Triomphe a été vandalisé. Fort heureusement, le pire a pu être évité : personne n’a trouvé la mort dans les affrontements du 1er décembre. La peur de la bavure a probablement conduit la préfecture de Paris à tolérer quelques poches de violence et à « laisser faire » certains casseurs pour éviter un drame aux conséquences catastrophiques.

Il faut condamner fermement toutes les violences inacceptables survenues à Paris depuis le début du mouvement des gilets jaunes. La colère des Français ne justifie en rien de tels actes, et il faut être bien naïf pour penser que les casseurs des Champs Elysées sont animés par un sentiment d’injustice sociale : les casseurs sont venus pour semer le chaos dans Paris, et non pour exprimer des revendications. Certes, il ne faut pas faire d’amalgames : les gilets jaunes ne sont pas tous des casseurs ; la plupart d’entre eux sont venus manifester pacifiquement, et certains ont même aidé à la protection des commerces et de l’Arc de Triomphe. Mais il ne faut pas, a contrario, nier les liens qui existent entre les casseurs et les gilets jaunes : les casseurs font partie du mouvement des gilets jaunes, ils en constituent la composante la plus radicale. De plus, en organisant des rassemblements non autorisés sur les Champs-Elysées, les gilets jaunes ont créé les conditions qui ont rendu possibles toutes les dérives auxquelles nous avons assisté à Paris le 1er décembre.

Il est temps que l’ordre républicain soit rétabli, mais cela ne pourra pas se faire par la répression. Le pouvoir exécutif doit apporter des réponses concrètes pour apaiser les colères. Plusieurs mesures ont déjà été annoncées par Emmanuel Macron, telles que le doublement de la prime à la conversion ou la revalorisation du bonus écologique et du chèque énergie. Le président de la République a également évoqué l’idée d’une taxe modulable sur les carburants, qui s’adapterait aux fluctuations des prix mondiaux. Ces mesures n’ont cependant pas mis un terme au mouvement des gilets jaunes, pour deux raisons. Premièrement, ces annonces apparaissent comme de simples mesures techniques, alors que les Français attendent des mesures fortes et symboliques. Deuxièmement, ces annonces sont arrivées trop tard : le prix du carburant n’a été que l’élément déclencheur de la révolte et les revendications des gilets jaunes dépassent aujourd’hui largement la question des taxes sur le carburant.

Deux revendications reviennent de façon récurrente au sein du mouvement des gilets jaunes. Il y a tout d’abord la baisse de la taxe sur les carburants. Hélas, l’urgence climatique nous interdit de faire marche arrière. Il faut impérativement sortir du « tout pétrole » et cela suppose des mesures contraignantes et impopulaires. La hausse de la taxe sur les carburants permet de financer la transition énergétique, mais elle a aussi une fonction incitative : en augmentant la fiscalité sur les énergies fossiles et en baissant la fiscalité sur les énergies renouvelables, le gouvernement veut encourager les Français et les entreprises à se tourner vers des énergies plus propres. C’est ce que l’on appelle, en économie, la « fiscalité comportementale ». L’exécutif ne doit pas renoncer à la hausse de la TICPE. Mais il doit prendre des dispositions qui la rendront plus acceptable aux yeux des Français, car les classes moyennes et populaires ont le sentiment d’être les seules à supporter le coût de la transition énergétique. Cela doit passer par le renforcement des mesures d’accompagnement car, même revalorisée, la prime à la conversion demeure insuffisante pour inciter les ménages à changer de véhicule et à se tourner vers des motorisations électriques ou hybrides. Cela doit aussi passer par une extension de la taxe carburant : il est injuste que le kérosène des avions et le fuel des cargos ne soient pas soumis à la même taxation que le gazole des automobilistes. Enfin, il faudrait que l’augmentation de la TICPE soit entièrement affectée au financement de la transition énergétique : or, d’après un récent rapport du Sénat, sur les 3,9 milliards d’euros de recettes supplémentaires attendues en 2018, seuls 184 millions seront alloués à la transition énergétique.

De nombreux gilets jaunes réclament également le rétablissement de l’ISF. Le remplacement de l’ISF par un « impôt sur la fortune immobilière » avait pour but d’inciter les grandes fortunes à investir dans l’économie : cette mesure a déjà eu des effets positifs puisque les investissements étrangers ont connu une forte croissance en 2018 ; les projets d’investissement ont aujourd’hui atteint leur plus haut niveau depuis 10 ans, ce qui montre que la France est redevenue attractive pour les investisseurs étrangers. Restaurer l’ISF tel qu’il existait avant 2017 serait une mesure purement symbolique mais inutile économiquement, voire contre-productive. En revanche, il faut améliorer le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires en accélérant et en amplifiant la baisse des prélèvements obligatoires. Le gouvernement a déjà réduit la taxe d’habitation : il faut maintenant la supprimer intégralement pour les Français les plus modestes. Le gouvernement souhaite désocialiser les heures supplémentaires : pourquoi ne pas aussi les défiscaliser, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy ? Le gouvernement a augmenté la prime d’activité pour les bas salaires : pourquoi ne pas aller plus loin et mettre en place une exonération totale de charges sur le SMIC ?

Je pense qu’il y a beaucoup à faire pour apaiser le « ras-le-bol fiscal » et pour réparer, au moins partiellement, le lien qui s’est brisé entre le président de la République et les Français. Mais s’il veut vraiment trouver une sortie de crise, l’exécutif doit revoir sa feuille de route. Il ne s’agit pas de renoncer aux réformes : il s’agit de modifier l’agenda des réformes pour donner la priorité au pouvoir d’achat des Français. Il faut aussi que le président de la République abandonne sa posture « jupitérienne » arrogante et qu’il accepte d’entendre le malaise profond des classes moyennes et populaires.