Réforme des retraites: que faut-il retenir du rapport Delevoye?

Jean-Paul Delevoye.

Le Haut-commissaire à la réforme des retraites a rendu public en juillet le résultat de ses travaux. Jean-Paul Delevoye est un homme d’expérience : ancien ministre de la Fonction Publique et ancien président du Conseil Economique, Social et Environnemental, il a déjà réformé la retraite des fonctionnaires au début des années 2000. Nommé Haut-commissaire à la réforme des retraites en 2017, il a constamment travaillé dans un souci de dialogue social ; il a aussi mené une grande « consultation citoyenne » à travers une plateforme en ligne et des « ateliers participatifs » organisés dans toute la France. La réforme proposée par Jean-Paul Delevoye n’est donc pas une réforme technocratique : elle est le fruit d’une réflexion collective. Le rapport Delevoye, qui doit déboucher sur un projet de loi avant la fin de l’année 2019, préconise de réorganiser notre système de retraite tout en réaffirmant les grands principes sur lesquels il se fonde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Car il s’agit bien de conserver un système de retraite par répartition, piloté par l’Etat, financé par les cotisations des actifs et garantissant un droit à la retraite pour tous.

Un système de retraite vraiment universel

La France compte 42 régimes de retraite différents : notre système de retraite est extrêmement complexe et, de surcroît, peu équitable car les règles varient d’une profession à l’autre. Mais surtout, notre système n’est plus adapté aux réalités sociales du XXIe siècle parce qu’il est fondé sur des solidarités catégorielles héritées du XXe siècle. Le monde du travail évolue à une vitesse vertigineuse à cause de la mondialisation et des bouleversements technologiques ; les parcours professionnels sont de plus en plus imprévisibles, les reconversions de plus en plus fréquentes, et les carrières de plus en plus hachées. Certaines professions vont connaître des bouleversements majeurs dans les prochaines décennies et verront leur poids démographique chuter, ce qui pourrait compromettre la pérennité de leur régime de retraite.

En lieu et place des 42 régimes de retraite existants, le rapport Delevoye propose un système de retraite universel par points : 10 euros cotisés sur une année donneront droit à 1 point de retraite. Lorsque l’assuré prendra sa retraite, les points qu’il a cumulés tout au long de sa carrière seront convertis en euros selon un taux fixé par le gouvernement : la valeur du point ne pourra pas baisser, mais le gouvernement pourra l’augmenter en fonction de l’évolution du revenu moyen par habitant. Les taux de cotisation appliqués aux salariés, aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants seront harmonisés : le Haut-commissaire propose d’aligner progressivement les différents taux sur celui qui s’applique actuellement aux salariés du secteur privé, avec un taux unique de 28,12%.

Le système proposé par Jean-Paul Delevoye sera donc plus simple et beaucoup plus équitable : un euro cotisé ouvrira les mêmes droits à tous les travailleurs, quel que soit leur statut. Le nouveau système sera, en outre, mieux adapté aux évolutions du monde du travail, car les changements de situation professionnelle n’entraîneront plus de changement de régime. La comptabilisation par points permettra aussi de valoriser l’ensemble des périodes d’activité, ce qui n’est pas le cas dans le système actuel puisque la validation d’un trimestre exige d’avoir cotisé sur une assiette au moins égale à 150 SMIC horaire : dans ces conditions, les courtes périodes d’activité n’ouvrent quasiment aucun droit en terme de retraites. Le mode de calcul proposé par Jean-Paul Delevoye sera donc plus avantageux pour les travailleurs qui ont des carrières très discontinues avec de courtes périodes d’activité.

Un système plus redistributif

Le rapport Delevoye préconise de fixer une retraite minimum équivalant à 85% du SMIC net pour une carrière complète, afin de garantir une pension décente aux assurés qui ont perçu de faibles revenus tout au long de leur carrière. Ce niveau est nettement supérieur aux dispositifs actuellement prévus dans le régime général de base. Le montant de cette retraite minimum sera garanti au fil des générations par une indexation sur le SMIC, et non plus comme aujourd’hui sur l’inflation.

Afin de rendre le système de retraite plus solidaire, le rapport Delevoye préconise également d’attribuer des points de retraite en cas d’interruption involontaire d’activité : ainsi, les périodes de chômage indemnisées, les congés maternité, les arrêts longue maladie et les périodes d’invalidité donneront lieu à l’acquisition de points, alors qu’actuellement ces interruptions d’activité « subies » ne sont pas prises en compte dans le calcul de la pension de retraite. Pour financer ce dispositif, le rapport propose la création d’un « Fonds de solidarité vieillesse universel » alimenté par l’impôt. Le rapport Delevoye préconise aussi de « renforcer les garanties offertes aux personnes venant en aide à un proche en situation de perte d’autonomie liée à l’âge ou au handicap » : ce nouveau dispositif compensera par l’attribution de points de retraite les préjudices de carrière liés aux périodes pendant lesquelles une personne aide un proche en situation de dépendance.

Le Haut-commissaire propose également toute une série de mesures destinées à mieux prendre en compte les nouvelles réalités familiales. Ainsi, le système universel permettra de majorer les points de retraite dès le premier enfant, avec la liberté pour les parents de se partager ces points en fonction de l’impact sur leurs carrières respectives : le rapport Delevoye propose une majoration de 5% dès le premier enfant, de 10% au deuxième enfant, 15% au troisième, et ainsi de suite. Cette mesure réduira les inégalités entre hommes et femmes, car ces dernières sont pénalisées par de carrières plus souvent hachées à cause de la prise en charge des enfants. Cette mesure permettra aussi d’améliorer la situation des familles monoparentales. Pour finir, les pensions de réversion seront harmonisées de façon à garantir au conjoint survivant un niveau de vie constant : le conjoint survivant conservera 70% de l’ensemble des points acquis par le couple.

L’introduction d’un « âge d’équilibre »

L’enjeu de la réforme est aussi de garantir la viabilité financière du système de retraite sur le long terme. La plupart des caisses de retraite sont à peu près à l’équilibre aujourd’hui grâce aux réformes qui ont été conduites au cours des 20 dernières années ; des ajustements restent néanmoins nécessaires pour pérenniser le financement des retraites dans un contexte de vieillissement démographique tout à fait inédit. Selon les projections réalisées par l’Insee, en 2050, 30% de la population française aura plus de 60 ans (contre 20% actuellement) ; la France comptera 6 retraités pour 10 actifs, alors que ce ratio était de 3 pour 10 dans les années 2000.

Jean-Paul Delevoye préconise de ne pas modifier l’âge légal de départ à la retraite, qui restera fixé à 62 ans. La nouveauté réside dans l’introduction d’un « âge d’équilibre » ou « âge pivot », qui correspond à l’âge auquel il faudrait théoriquement partir à la retraite pour que le système soit à l’équilibre financier. Concrètement, il s’agit de l’âge auquel les assurés pourront bénéficier d’une retraite à taux plein. Le rapport Delevoye propose de fixer à 64 ans l’âge d’équilibre au démarrage de la réforme ; cet âge d’équilibre sera un « levier de pilotage du système de retraite » et pourra être modifié en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. L’objectif est d’inciter les assurés à prolonger leur activité au-delà de 62 ans par le biais d’un système de décote : avec un âge d’équilibre fixé à 64 ans, une personne qui choisirait de prendre sa retraite à 62 ans se verrait appliquer une décote de 10% ; à 63 ans, la décote serait de 5%. A l’inverse, une surcote serait appliquée aux assurés qui travaillent au-delà de 64 ans. Ce que propose le rapport Delevoye, c’est donc un système relativement souple qui repose sur l’incitation et non sur l’obligation. Chacun sera libre de partir en retraite à 62 ans ou de travailler plus longtemps selon ses priorités.

Cet « âge d’équilibre » fait débat car beaucoup y voient une façon de repousser, sans le dire, l’âge de départ à la retraite. En fait, l’introduction d’un « âge d’équilibre » ne représente pas un changement majeur pour les assurés : dans le système actuel, compte tenu d’une entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail, la plupart des assurés doivent déjà partir en retraite après 62 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein ; à titre d’exemple, pour l’année 2018, l’âge moyen de départ à la retraite était de 63,4 ans (hors départs anticipés). En revanche, la réforme permettrait de valoriser davantage le travail effectué au-delà de 62 ans car les assurés continueront d’accumuler des points de retraite, ce qui augmentera significativement le montant de leur pension. Ce n’est pas toujours le cas dans le système actuel puisque, dans un système en annuités, certains trimestres validés peuvent n’avoir qu’un effet très marginal sur le calcul de la pension.

Les carrières longues offriront toujours la possibilité d’un départ anticipé à 60 ans, selon les critères déjà en vigueur et sans décote. En matière de risques professionnels et de pénibilité, des règles communes seront mises en place : le Compte Professionnel de Prévention (C2P), dont bénéficient déjà les salariés du secteur privé, sera étendu aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux. Ce dispositif s’appliquera notamment au travail de nuit, aux tâches répétitives et au travail dans le bruit. Les « points pénibilité » accumulés sur le C2P seront indépendants des points de retraite ; ils pourront être utilisés de différentes façons, par exemple pour passer à temps partiel sans perte de salaire, pour suivre des formations permettant d’accéder à des postes moins pénibles ou pour bénéficier d’un départ à la retraite anticipé de 2 ans. Les fonctionnaires exerçant des fonctions dangereuses dans le cadre de missions régaliennes de sécurité publique et de maintien de l’ordre continueront à bénéficier de retraites anticipées.

La fin des régimes spéciaux

La réforme proposée par Jean-Paul Delevoye entraînera, de facto, la disparition des régimes spéciaux de retraite. Ces régimes spéciaux, qui concernent principalement les salariés de la SCNF, de la RATP et des sociétés électriques et gazières, offrent la possibilité de partir à la retraite beaucoup plus tôt que dans le régime général : en 2017, l’âge moyen de départ à la retraite n’était que de 56,9 ans pour les agents de la SNCF et de 55,7 ans pour ceux de la RATP. En outre, le calcul des pensions de retraite est beaucoup plus favorable dans les régimes spéciaux que dans le régime général ou dans celui de la fonction publique.

Bien qu’ils aient déjà été réformés à plusieurs reprises, les régimes spéciaux sont encore pointés du doigt par la Cour des Comptes en raison de leur coût élevé pour la collectivité. Ces régimes sont en effet lourdement déficitaires : les cotisations représentent 41 % des ressources du régime de la RATP, et seulement 36 % des ressources du régime de la SNCF ; le reste provient de financements publics, dont la part a fortement augmenté ces dernières années. Dans un récent rapport, la Cour des Comptes a de nouveau recommandé d’aligner les régimes spéciaux sur les règles en vigueur dans le régime des fonctionnaires. La mise en place d’un système de retraite universel règlera définitivement le problème. Mais dans un souci d’équité, il est évident que tous les régimes spéciaux devront disparaître, y compris ceux des parlementaires, comme l’a souligné Jean-Paul Delevoye lui-même.

Des « gagnants » et des « perdants »

Comme toute réforme structurelle, la réforme des retraites proposée par Jean-Paul Delevoye aura ses « gagnants » et ses « perdants ». Globalement, les gagnants seront les travailleurs les plus précaires, ceux qui touchent de faibles revenus tout au long de leur carrière, ceux qui enchaînent les contrats courts et ceux qui passent par de longues périodes de chômage ou de travail partiel, puisque les nouvelles règles de calcul leur seront plus favorables que l’ancien système fondé sur la validation de trimestres.

Les « perdants » sont ceux qui, jusqu’à présent, jouissaient des régimes de retraite les plus avantageux : les fonctionnaires et les assurés des régimes spéciaux. Avec la réforme, leur taux de cotisation sera plus élevé car il sera aligné sur celui des salariés du secteur privé ; en outre, le calcul de leur pension de retraite sera moins favorable, notamment pour les fonctionnaires : dans le système actuel, le montant de la pension est calculé sur la base du traitement indiciaire des 6 derniers mois, tandis qu’avec la réforme il sera déterminé par la valeur des points accumulés tout au long de la carrière du fonctionnaire. En contrepartie, le rapport Delevoye propose d’intégrer les primes dans le calcul de la retraite, mais en tout état de cause, une telle compensation ne concernera qu’une partie des agents de la fonction publique puisque de nombreux fonctionnaires ne touchent pas de primes, ou en touchent très peu, comme les enseignants. Les professions libérales apparaissent elles aussi comme « perdantes » car elles sont très attachées à leur indépendance : elles disposent en effet d’un système de retraite autonome et excédentaire, et contestent le principe d’un régime universel qui conduirait à mutualiser les réserves qu’elles ont accumulées au fil du temps.

Conclusion

La commission présidée par Jean-Paul Delevoye a fait un travail assez remarquable, même si le projet proposé reste largement perfectible. Il faut espérer que les arbitrages du gouvernement respecteront les grands équilibres du rapport Delevoye, ce qui n’a rien d’une évidence au vu des couacs déjà constatés sur la question de l’âge légal de départ à la retraite : Edouard Philippe s’est en effet déclaré favorable au report de l’âge légal, provoquant ainsi la colère de Jean-Paul Delevoye. Le rapport Delevoye n’est pas une simple « boîte à outils » dans laquelle on pourrait piocher telle ou telle idée : ce rapport propose une réforme globale, équitable et cohérente du système de retraite. Il serait donc tout à fait regrettable que tout ce travail soit gâché par des considérations purement comptables.

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Il est temps de réformer le bac

Le bac 2019 a été fortement perturbé par une « grève des notes ». Quelque 700 professeurs grévistes ont refusé de communiquer leurs notes de bac : vendredi 5 juillet, jour de publication des résultats, près de 30.000 notes manquaient ; de nombreux candidats ont donc récupéré un relevé de notes provisoire, sur lequel les notes manquantes avaient été remplacées par des moyennes annuelles.

Les professeurs grévistes combattent les réformes pilotées par Jean-Michel Blanquer, et plus particulièrement la réforme du bac qui entrera en vigueur dès la rentrée 2019 pour les élèves de Première. Ce qui fait débat dans ce nouveau bac, c’est le renforcement du contrôle continu et la réduction du nombre d’épreuves finales : le contrôle continu représentera en effet 40% de la note globale. Les épreuves finales ne concerneront que la philosophie et les deux enseignements de spécialité choisis par l’élève : les autres disciplines seront évaluées en contrôle continu au cours des années de Première et de Terminale. Les détracteurs de la réforme pensent que le baccalauréat perdra son statut de diplôme national et n’aura plus la même valeur d’un établissement à l’autre, ce qui aurait pour conséquence de creuser les inégalités entre élèves.

Je crois qu’il s’agit d’un faux problème, car le bac est un diplôme totalement démonétisé. Il a depuis longtemps perdu toute « valeur ». De fait, les résultats obtenus au bac ne sont pas pris en compte lors de l’affectation des élèves de Terminale dans l’enseignement supérieur, car les dossiers de candidature sont examinés en avril et en mai, bien avant le début des épreuves finales du baccalauréat. Les établissements d’enseignement supérieur s’appuient déjà sur le contrôle continu pour classer les dossiers de candidature. Pendant toute leur année de Terminale, les élèves préparent un examen dont les résultats ne seront jamais valorisés. Les fameuses mentions « Assez Bien », « Bien » et « Très Bien » ne servent à rien : elles ne représentent qu’une gratification symbolique pour les candidats les plus méritants. Par conséquent, le renforcement du contrôle continu ne changera pas grand-chose à la valeur du bac. Il permettra simplement de mieux prendre en considération le travail fourni par les élèves tout au long de leur scolarité au lycée.

Il faut dédramatiser le contrôle continu : les professeurs sont parfaitement capables d’évaluer de façon juste et objective le niveau de leurs élèves. Certaines disciplines sont déjà évaluées en contrôle continu au bac, notamment l’EPS, et cela ne semble déranger personne. Les futures épreuves de contrôle continu seront très encadrées : il s’agira d’épreuves nationales, dont les modalités et le calendrier seront identiques pour tous les élèves ; au niveau de chaque établissement, les sujets seront choisis par les professeurs dans une banque nationale de sujets, et les copies seront anonymées. En outre, le renforcement du contrôle continu permettra d’alléger le calendrier des épreuves finales. Dans sa forme actuelle, le baccalauréat entraîne des contraintes colossales pour les établissements : les épreuves du bac immobilisent énormément de salles, de matériel et de personnels, et neutralisent deux semaines de cours au mois de juin. Avec la réforme, les épreuves finales seront recentrées sur trois disciplines. 

Il est temps d’adapter le bac aux évolutions de la société et de l’école. Jusqu’aux années 1970, le bac servait à sélectionner les élèves : les bacheliers constituaient une élite. Une grande partie des élèves ne passait pas le bac, et les taux d’échec à l’examen étaient beaucoup plus élevés qu’aujourd’hui : à titre d’exemple, en 1970, la part de bacheliers dans une classe d’âge n’était que de 20%. De nos jours, la part de bacheliers dans une classe d’âge atteint 80% ; le taux de réussite au bac avoisine les 90% dans les séries générales et technologiques, et 80% dans les séries professionnelles. Mais cette démocratisation du bac est un trompe-l’œil car elle n’a été possible qu’au prix d’une baisse du niveau d’exigence à l’examen. De fait, le bac n’a plus la fonction de sélection qu’il avait autrefois : il sert désormais à valider un certain nombre de connaissances théoriques et pratiques acquises au lycée. Or, cette fonction peut être assurée en partie par le contrôle continu.