Comme beaucoup de centristes, j’ai voté Hollande au second tour de la présidentielle de 2012, par « antisarkozysme » plutôt que par adhésion au programme du candidat socialiste. Comme beaucoup de Français, j’ai trouvé son quinquennat décevant à bien des égards. Pourtant, je pense que François Hollande n’a pas été un si mauvais président qu’on le dit. Je garderai même de lui le souvenir d’un président sympathique, pragmatique et bienveillant. Et je n’oublie pas que Monsieur Hollande a été confronté, lors de sa présidence, à des épreuves d’une difficulté inouïe : la crise syrienne, la crise des migrants et, bien sûr, une vague d’attentats terroristes sans précédent sur le territoire national depuis l’époque de la guerre d’Algérie. Je ne suis pas sûr que d’autres eussent fait beaucoup mieux à la place de François Hollande en pareilles circonstances.
Tout n’est pas à jeter à la poubelle dans le quinquennat de François Hollande, bien au contraire. A force d’énumérer les échecs de ce président mal aimé, on finit par oublier ses réussites. L’intervention militaire au Mali fut un succès : la décision d’engager les troupes françaises dans ce pays était courageuse, l’opération Serval a été menée de façon remarquable et a permis de repousser l’offensive djihadiste qui menaçait de faire basculer tout le pays dans le chaos. Il faut aussi rappeler que cette opération fut menée dans un cadre multilatéral irréprochable puisque l’armée française est intervenue sous mandat de l’ONU, aux côtés des troupes de la Cedeao. Autre succès à l’actif de François Hollande : la COP 21. Cette conférence a permis d’aboutir au fameux « accord de Paris », un accord historique dont l’ambition est de maintenir le réchauffement climatique sous le seuil de 2° par rapport aux niveaux d’émission préindustriels. Il s’agit du premier accord véritablement mondial sur le climat, signé par l’ensemble des Etats de l’ONU. C’est un accord équilibré qui tient compte du niveau de développement de chaque Etat et marque une avancée majeure sur la question climatique, même s’il est peu contraignant juridiquement.
Le « mariage pour tous » peut aussi être considéré comme un succès de François Hollande puisque cette mesure fait partie des rares promesses de campagne qui ont été respectées par l’ancien président : depuis 2013, les couples de même sexe disposent du droit de mariage et du droit d’adoption, au même titre que les couples hétérosexuels. Mais cette réforme a fracturé le pays car elle touche au fondement même de notre société : la famille. Je crois que François Hollande a sous-estimé l’ampleur des contestations et des inquiétudes que soulèverait une telle réforme. A titre personnel, je n’étais pas favorable au droit d’adoption pour les couples homosexuels car je pense que tout enfant a besoin d’un père et d’une mère : je trouvais plus sage l’idée d’un « PACS amélioré », sans droit d’adoption mais offrant, dans les situations d’homoparentalité de fait, un cadre juridique plus protecteur pour l’enfant, notamment par la reconnaissance d’une forme d’autorité parentale au conjoint qui n’est pas le parent biologique. Mais la représentation nationale en a décidé autrement, et je l’accepte. On ne reviendra évidemment pas sur le mariage pour tous : rouvrir ce débat serait une lourde erreur.
Le quinquennat de François Hollande fut aussi marqué par des échecs cuisants, tels que la déchéance de nationalité : aujourd’hui encore, on a du mal à comprendre pourquoi Hollande s’est enlisé dans un débat aussi dangereux. Suite aux effroyables attentats de novembre 2015, le président a voulu prendre des mesures fortes. Mais en proposant la déchéance de nationalité pour les terroristes, Hollande a créé de la division dans un moment tragique où, au contraire, la nation avait terriblement besoin d’être rassemblée et rassurée. Ce choix fut d’autant plus contestable qu’il portait sur une mesure symbolique dont tout le monde savait qu’elle ne serait d’aucune utilité dans la lutte contre le terrorisme. L’autre fiasco de François Hollande fut la lutte contre le chômage : le président a déclaré en 2014 qu’il voulait « inverser la courbe du chômage », mais le nombre de demandeurs d’emploi n’a cessé d’augmenter durant tout le quinquennat. En revanche, le nombre de chômeurs de catégorie A (c’est-à-dire sans aucune activité) a légèrement baissé durant les derniers mois du quinquennat : reste à savoir s’il s’agit d’un phénomène conjoncturel ou d’une baisse durable. Le « Pacte de responsabilité » et le CICE n’ont clairement pas eu les résultats escomptés sur l’emploi malgré les milliards d’euros accordés aux entreprises sous forme de crédits d’impôt et de baisses de charges. Pour autant, peut-on dire que ces politiques ont été inutiles ? La prudence m’incite à penser que non, car le CICE et le Pacte de responsabilité ont tout de même permis d’améliorer les marges des entreprises et ont apporté une petite bouffée d’oxygène aux TPE et PME. En outre, il est impossible de savoir comment les chiffres du chômage auraient évolué sans le CICE et le Pacte de responsabilité : si ces dispositifs n’ont pas stoppé la hausse du chômage, peut-être l’ont-ils au moins freinée.
Il y eut aussi quelques réformes bâclées. C’est dans cette catégorie que je mets la réforme territoriale (préparée à la va-vite sur un coin de table de l’Elysée), la réforme des rythmes scolaires (qui partait d’une louable intention mais fut mise en œuvre de façon trop rigide), la réforme du collège (qui a sacrifié des enseignements d’excellence tels que les langues anciennes ou les classes bi-langues au nom d’un égalitarisme absurde). Et bien sûr, il y eut la fameuse « loi Travail », aussi appelée « loi El-Khomri ». L’ambition initiale de la loi Travail n’était pas mauvaise : donner davantage de flexibilité aux entreprises pour leur permettre de s’adapter plus facilement aux brusques changements de conjoncture économique. Cette loi permet aux entreprises de négocier en interne des accords majoritaires qui priment sur le Code du Travail et sur les accords de branche, notamment pour le temps de travail des salariés : c’est ce que l’on appelle « l’inversion de la hiérarchie des normes ». En contrepartie, la loi Travail introduisait aussi d’importantes avancées pour les salariés, telles que le « compte pénibilité » ou le « droit à la déconnexion ». Mais ce projet de loi a mis le feu aux poudres : face à la mobilisation syndicale et à la colère des « frondeurs », le gouvernement a remanié plusieurs fois le texte pour finalement le faire passer en force à l’Assemblée nationale avec l’article 49-3. Je me suis longtemps demandé si la loi El-Khomri n’était pas une forme de suicide politique. L’explication est sans doute beaucoup plus simple : la « loi Travail » a été préparée par le gouvernement sous la pression de la Commission européenne. L’assouplissement du droit du travail devait en effet permettre à la France de « montrer patte blanche » aux commissaires européens pour ensuite obtenir de Bruxelles des positions plus conciliantes sur le déficit public.
A mes yeux, la plus grosse erreur de François Hollande a été de croire qu’il pouvait mener une politique social-démocrate après avoir été élu sur un programme très marqué à gauche, à l’issue d’une campagne elle aussi très à gauche. On se souvient du discours du Bourget et des imprécations de Hollande contre le « monde de la finance ». On se souvient des promesses du candidat sur la renégociation des traités européens et sur la « taxe à 75% ». Mais lorsque le président s’est mis à parler de compétitivité, de baisses de charges, d’assouplissement du droit du travail et de réduction des déficits publics, il a provoqué l’incompréhension d’une partie de sa famille politique et de ses électeurs. Une incompréhension d’autant plus grande que ni la loi El-Khomri, ni le CICE, ni le Pacte de responsabilité n’étaient inscrits dans le programme de 2012. Je pense que les choix économiques de François Hollande étaient bons mais que le président ne disposait pas de la majorité nécessaire pour mener la politique réformiste dans laquelle il croyait : prisonnier d’un Parti Socialiste archaïque et profondément divisé, critiqué en permanence par une droite irresponsable qui jouait la carte de l’opposition systématique même lorsque les réformes allaient dans le bon sens, François Hollande a été contraint de naviguer à vue, donnant ainsi l’impression d’être toujours dans l’hésitation et l’improvisation.
Le quinquennat de François Hollande a exacerbé les fractures idéologiques de la gauche et a conduit le Parti Socialiste au bord de l’implosion. Hollande voulait-il faire éclater le PS ? Je ne le crois pas, car il est trop attaché à ce parti dont il a été pendant 10 ans le Premier Secrétaire. Mais dans les faits, François Hollande a bel et bien tué le PS. Il ne l’a pas tué en tant que parti : il a tué une certaine vision du socialisme fondée sur la « synthèse » mitterrandienne. La décision la plus sage de François Hollande a été celle de ne pas briguer un second mandat présidentiel ; mais son plus bel exploit, c’est d’avoir permis (peut-être sans le vouloir) la victoire de son ancien conseiller. La jeunesse, l’audace et le charisme d’Emmanuel ont fait oublier l’impopularité de François. Si toutes les choses ont un but, alors le quinquennat de Hollande fut peut-être un mal nécessaire, une « ruse de l’Histoire » pour accélérer la recomposition politique aujourd’hui orchestrée par Macron.