Réforme du collège: gare aux récupérations politiques stériles

Source: L’Express.

Malgré la mobilisation enseignante du 19 mai, le décret sur la réforme du collège vient d’être publié au Journal Officiel. J’ai déjà exposé les raisons pour lesquelles j’étais opposé au projet de Najat Vallaud-Belkacem : cette réforme, inspirée par une idéologie égalitariste surannée, risque d’accentuer le processus de nivellement par le bas qui est à l’œuvre depuis 40 ans dans l’Education Nationale. Sous prétexte de vouloir réduire les inégalités, la ministre veut démanteler des enseignements d’excellence qu’elle juge trop « élitistes », tels que les langues anciennes, les classes bi-langue et les classes européennes. L’école de la République doit évidemment favoriser l’égalité des chances et offrir à tous les élèves, quelle que soit leur origine, les moyens de réussir. Mais elle doit aussi former des élites et permettre aux élèves les plus méritants d’accéder à des enseignements d’excellence qui leur offriront la possibilité d’exploiter au maximum leurs capacités. De surcroît, le latin et le grec constituent le socle même de notre culture humaniste et nous apportent un éclairage précieux sur la langue française : réduire le volume horaire alloué à ces enseignements est une aberration.

Cela étant dit, je déplore que la réforme du collège ait été caricaturée et instrumentalisée par ses opposants. Certains dénoncent par exemple la « disparition du latin et du grec » : en réalité, ces enseignements sont réduits à la portion congrue mais ils ne disparaissent pas, puisqu’ils subsistent dans le cadre des « EPI » (enseignements pratiques interdisciplinaires) et sous la forme d’un « enseignement de complément ». Certains responsables de l’opposition comme Bruno Le Maire ont dénoncé un « passage en force » après la publication du décret. Mais parler d’un « passage en force » est excessif : le texte a été discuté pendant un mois avec les syndicats enseignants et les fédérations de parents d’élèves. Par ailleurs, la mobilisation enseignante n’a pas été spectaculaire : même si 25% des professeurs de l’enseignement public ont fait grève, ils étaient peu nombreux à manifester le 19 mai. L’UMP réclame l’abrogation du décret et promet d’annuler la réforme. Pourtant, tout n’est pas à jeter à la poubelle dans cette réforme : l’autonomie plus grande accordée aux établissements et la volonté de renforcer l’accompagnement personnalisé ne sont pas, en soi, des mauvaises idées.

Par ailleurs, certains détracteurs de la réforme ont tendance à tout mélanger, et confondent (volontairement ou par ignorance) la réforme du collège avec celle des programmes : en réalité, il s’agit de deux réformes distinctes. La réforme des programmes d’histoire-géographie a été élaborée par le CSP (Conseil Supérieur des Programmes) ; elle est encore en discussion actuellement. Méfions-nous des récupérations politiques : certains membres de l’opposition sont déjà en campagne et cherchent à instrumentaliser la réforme du collège pour séduire l’électorat enseignant. Même si l’UMP semble aujourd’hui voler au secours de l’école et des « humanités », nous ne devons pas oublier la politique éducative calamiteuse qui fut menée durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy : réduction massive des effectifs enseignants, augmentation du nombre d’élèves par classe, démantèlement de la formation des nouveaux professeurs, réforme aberrante de l’histoire-géographie dans la filière scientifique, etc.

N’en déplaise à ses détracteurs les plus véhéments, la réforme proposée par Mme Vallaud-Belkacem n’est qu’une réformette de plus, qui ne bouleverse en rien les fondements et les finalités du collège. Il est essentiel qu’avant les prochaines présidentielles un vrai débat de fond soit ouvert sur les missions du collège, et notamment sur la pérennité du « collège unique » institué par la réforme Haby de 1975. Dans notre pays, le collège a toujours été une sorte d’objet institutionnel non-identifié, coincé entre l’école primaire et le lycée. Le statut du collège n’a jamais été clairement défini : est-il un prolongement de l’école primaire, destiné à fournir à tous les élèves un même bagage, un même « socle » de fondamentaux ? Ou est-il un « petit lycée », qui propose des enseignements adaptés au profil de chaque élève et qui les prépare au bac et à l’après-bac ? Il est grand temps de dresser le bilan du collège unique et de réfléchir à une véritable refondation.